Territoire des hommes et des ours
L'institutionnalisation de la nature
Les vallées béarnaises seraient-elles des terres d'oppositions et de conflits ? Plus que les autres vallées des Pyrénées, elles manifestent leur singularité et leur « typicalité ». la création du Parc National des Pyrénées-Occidentales a accentué cette particularité. La question de l'ours des Pyrénées fut au centre de ces conflits, en mettant face à face des valléens et des intervenants extérieurs.
L'atténuation des conflits dans les vallées béarnaises résulte, pour une grande partie, de l'instauration de l'Institution Patrimoniale du Haut-Béarn comme « arène de négociation ». émanent du processus de décentralisation, l'institutionnalisation de l'action collective a engagé les partenaires concernés dans la recherche du compromis, permettant à la fois un développement durable des vallées et la protection de l'ours et de l'environnement montagnard, en général selon le pacte d'objectif édicté à travers la charte conçue à cet effet. Le retrait de l'Etat dans les affaires locales et une certaine volonté de démocratie participative, engendrée par la décentralisation, a facilité l'instauration de nouvelles formes de négociation. Assumant péniblement décentralisation et déconcentration de ses services, l'Etat, à travers son ministère de l'Aménagement du Territoire et de l'Environnement, tend à favoriser des politiques contractuelles qui consistent à établir, sous forme de charte, des accords politiques que les collectivités territoriales s'engagent à mener à terme. La charte de développement durable des vallées béarnaises et de protection de l'ours est une procédure contractuelle traitant d'un « objet environnemental » particulier, dont la gestion spécifique requiert une échelle propre d'initiatives, de responsabilités.
Limitées à un rôle de minorités actives, les protecteurs de la nature ont gagné, peu à peu, une reconnaissance au niveau de l'opinion publique et ces dernières années auprès des collectivités territoriales. Leur capacité de mobilisation, d'information, d'éducation et de revendication, les ont amené à intervenir comme des experts conseillant les pouvoirs locaux et nationaux, se situant, en somme, comme partenaires co-gestionnaires capable d'apporter des solutions et de soutenir la mise en oeuvre des politiques publiques territoriales. Leur volonté de d'affichage d'une « gestion écologique » a amené les associations à fonder leurs actions sur des solidarités de proximité (exemple : aide aux bergers) et de participation. Admises, non sans difficultés, dans l'enceinte de négociation, les associations de protection de la nature et de l'Environnement (APNE) ont su patiemment élaborer des stratégie et innover en formulant des propositions acceptables par les deux parties principales (tendance aménagement et tendance environnement).
Economie et nature
Dans les vallées des Pyrénées béarnaises se serait développé, à travers l'IPHB, un dispositif qui articulerait expertise bureaucratique et technique étatique et démocratie locale, perspective d'intérêt général et prise en compte des priorités locales. Sous l'impulsion, en particulier des APNE, le développement économique et les politiques d'environnement concernant les territoires de montagne, sont présentés comme étroitement liés.
Malgré les ambiguïtés du partenariat, pour un renforcement des opportunités participatives qu'offrent aux associations certaines collectivités locales, les APNE ont confirmées leur autorité en mettant en valeur leur capacité d'expertise, la rigueur dans leurs positions et la maîtrise des connaissance dans l'ensemble des dossiers.
Cependant la progression des représentations concernant la protection de l'environnement ne doit pas nous faire oublier des revirements toujours possibles et surprenants (ex : réalisation de l'axe routier E7, réintroductions d'ours...). Spécifique aux vallées béarnaises, l'IPHB n'est pas un lieu unique de concertation où s'opérerait l'agrégation des intérêts divergents et le traitement de leur compromis. Des structures déjà existantes, comme le Parc National, pourraient remplir les mêmes fonctions. D'autres encore, seraient à inventer et pourraient accueillir de nouveaux partenaires tout autant concernés. Une représentation proportionnelles des acteurs impliqués rendrait au système une image de démocratie locale plus participative.
La représentation des APNE dans le champ politique local dépendrait-elle de leur capacité à dynamiser des structures participatives et a influer des politiques locales, ou de l'entrée du mouvement écologique dans le champ politique national ? La participation des « verts » au gouvernement « socialo-communiste-écologiste » dit « gauche plurielle », après deux années d'exercice ne répond pas à notre question. Toutefois, au niveau des institutions locales, on peut attendre des écologistes une valorisation des approches globales de l'environnement ou une volonté d'instauration ou de maintien de pratiques de démocratie élémentaire pour les prises de décision collectives. Mais encore faut-il que les écologistes bénéficient d'un état de rapport de force qui déterminera, en fait les possibilités de négociation avec les partenaires des collectivités territoriales.
Les renforcement des pouvoir de la CEE sur les politiques des nations européennes en matière d'environnement risque de modifier le système de négociation mis en place par les collectivités territoriales et, par contre, d'augmenter la prégnance écologique.
La directive européenne
La directive européenne Natura 2000 pourrait en être un exemple. La France (ainsi que les espagne) a pris du retard dans la transmission de la liste nationale des propositions de site concernant la directive. La nécessité de préciser aux interlocuteurs nationaux et locaux des engagements pris par le pays en transmettant ces propositions justifie ce retard. L'opposition farouche des élus de montagne est un des facteurs de difficulté à l'acceptation de la protection des sites pouvant mettre en péril les activités économiques humaines en montagne.
Devant l'importance des questions posées, un « mémorandum d'interprétation de la directive » a été rédigé par la commission de la CEE. Il précise l'importance des consultations locales et la nécessaire approbation du corps social aux objectifs de la directive. Une fois de plus se pose la question de la préférence collective, celle que défendent les valléens pour « vivre libre au pays » ou l'intérêt général, celui d'une nation envers son patrimoine. Le choix proposé demeure entre ces deux options : le territoire des hommes ou le territoire des ours ?
Christian FERRÈRE
Sociologue