La nature est une culture,
l’ours (est) un capital

L'institutionnalisation de la nature
La protection de l'environnement est devenu au fil des années une valeur universelle. La mise en valeur de la nature comme grandeur existante, participe de l'émotion inspirée par le sublime du paysage sauvage et du patrimoine domestique. Les sites pyrénéens réputés dans l'opinion publique (exemple le cirque de Gavarnie, le cirque de Lescun et d'Ansabère...) sont présentés comme la nature civiquement accessible à tous, mais aussi considérés comme marchandise touristique, terrain de jeu, également comme stock de ressources ( stock des espèces végétales, animales, géologiques, etc..).
La conciliation entre les activités productives (agricoles, pastorales, forestières..), aménageuses (stations de ski, tunnel,
axes routiers), les activités de préoccupation de l'homme moderne dans ses interactions avec son environnement. La tension qui
résulte du développement économique et du maintien d'un patrimoine naturel, plonge les acteurs sociaux dans des dilemmes
inextricables et des recherches de solutions se limitant à une réflexivité et une capacité d'action moyenne.
L'homme a su domestiquer des biens naturels contribuant à son confort (par exemple l'extraction du bois en forêt ou la montagne comme terrain de loisir), mais a aussi élaboré une éthique de la vie (la protection des espèces comme patrimoine naturel...). Le produit de certaines activités humaines a engendré un construit collectif : l'environnement. « C'est un construit en devenir constant ». La protection de l'environnement est devenu un enjeu incontournable dans les politiques publiques territoriales, qu'elles soient locales, nationales ou internationales. Afin de concilier protection de l'environnement et activités de production, les nations ont inventé un nouveau modèle : le développement durable. Le terme de développement durable apparu au début des années soixante dix, évoquait la relation entre le développement économique et les ressources naturelles. Depuis, de nombreuses acceptions qualifient le développement durable. Mais son origine antérieure, développée par Madame GRO HARLEM BRUNDTLAND, alors premier ministre norvégien, dans un rapport qui fût présenté au premier sommet de la Terre à Rio, en 1992, spécifie que le développement durable est un « développement permettant de satisfaire les besoins présents, sans compromettre la capacité des générations futures à satisfaire les leurs ». Ce principe philosophique indique que l'homme agit pour lui (finalité sociale au profit de l'humain) dans une optique d'efficacité économique (non de rentabilité économique) et de préoccupation écologique.
Rappelons que la charte qui lie l'Etat et l'Institution patrimoniale du Haut Béarn est fondée sur le développement des vallées
béarnaises et la protection de l'ours. Le développement en terme d'aménagement est caractéristique dans certaines vallées,
comme la vallée d'Aspe. Ce qui n'est pas nécessairement un développement économique profitant à l'ensemble de la population...
L'ouverture du tunnel du Somport, l'élargissement de l'axe routier, la rénovation de cabanes de bergers et leur accès, sont des
éléments visibles pour tout un chacun. Depuis 1993 un partenariat constitué de participants défendant des objectifs et des
positions souvent très divergents s'affrontent dans « l'arène de négociation » que constitue l'IPHB. Pourtant la question de
l'ours (protection et réintroduction) a peu évolué dans les faits et la réintroduction évoquée par le président lui-même en
1998 est toujours d'actualité, avec d'autant plus d'acuité aujourd'hui, suite à l'évènement dramatique de la disparition de la
seule femelle ours de souche pyrénéenne, tuée par un chasseur au cours d'une battue au sanglier.
Quelles sont les responsabilités dans cette situation ? Celles de l'Etat ? Celles des élus locaux ? Celles des socioprofessionnels ?
Celles du groupe des chasseurs ? Ou autres ?
Les choix effectués en faveur des territoires et en faveur de la protection des espèces sont des choix de politique publique.
L'exploitation des espaces ou la préservation des sites et de la grande faune sauvage relève des politiques de compromis. Celles-ci
s'efforcent de combiner des intérêts divergents, souvent économiques et touristiques, la création de pistes sylvo-pastorales dans des
sites classés, les activités traditionnelles de loisir comme la chasse et la pêche, avec la protection des espèces rares, etc. Ces
politiques de compromis, certes, ne sont pas spécifiques aux politiques publiques environnementales. Chaque domaine d'intérêts sociaux,
met en place des ajustements, plus ou moins stables, des spécificités d'une politique publique sous l'arbitrage de l'autorité publique.
Des tensions entre intérêts opposés s'expriment, sont régulées, bien que jamais totalement éliminées. Mais les choix effectués en matière
d'environnement et plus qu'ailleurs, instaurent un ajustement inégalitaire des différents objectifs, au détriment d'une réelle conciliation,
ou d'un état d'équilibre significatif.
Nature et culture
La protection de l'environnement, la préservation d'une certaine nature ou les représentations mentales qui y sont associées, relèvent d'une culture propagée dans les sociétés modernes et en réaction au tout technologique et aux dégâts émis par le progrès et le profit, dont les effets pervers mettent en péril l'humain et son milieu. La protection des espèces, en l'occurrence animales, serait-elle l'émanation sous tendue, entre autre au niveau symbolique, d'un désir de protection de la vie et de l'homme lui-même ?
De la capacité des hommes à préserver leur milieu et celui partagé par d'autres êtres vivants résulte la prise de conscience et la volonté de retrouver un équilibre et une harmonie avec son élément primaire : la nature. L' « homo modernus » redécouvrepar des détours complexes et souvent institutionnalisés, les valeurs, les richesses et les fragilités que comporte l'élément nature. Comme les sites inscrits au patrimoine mondial de l'humanité, les espèces rares sont considérées comme patrimoine de la nature ou patrimoine écologique. C'est en cela que l'ours des Pyrénées, comme d'autres espèces, ici ou ailleurs, est un «capital», au sens conceptualisé par le sociologue Pierre Bourdieu et par extension pouvant s'illustrer dans cette réflexion.
Quand l'esprit s'enrichit et retrouve des valeurs partagées avec le plus grand nombre d'individus, se forme la culture. L'éducation, l'information, la formation participent à l'élaboration de la réflexion et du sens donné à l'élément Nature. Si l'on considère que la nature dans les valeurs qui en émanent et sa genèse est une culture et que l'ours, au même titre que des espèces rares, est un capital, comment comprendre cette difficulté à la préservation de cette espèce et la disparition progressive de l'ours des Pyrénées que les hommes n'ont pas eu la volonté nécessaire de protéger et dont ils n'ont pas su valoriser l'existence ?
Christian FERRÈRE
Sociologue