Novembre 2012

Nature et environnement, des enjeux de société

Nature et environnement, des enjeux de société

La nature et l'environnement, sont des thèmes qui mobilisent et agitent différents groupes ou acteurs sociaux : associations, professionnels, hommes politiques, particuliers, etc. Chacun de ces groupes a des intérêts qui correspondent à leurs objectifs propres et à une vision de la vie.

La nature, peut-on dire, détermine le caractère ou la propriété d'un être ou d'une chose. Elle s'applique, généralement, au monde non transformé par la présence humaine, ce qui de nos jours est exceptionnel ! Elle est évoquée comme le principe actif de l'organisation du monde. Ne parle t-on pas des lois de la nature ? Comme l'écrivait Lorraine Daston [1]: « L'homme a trouvé dans la nature une source d'autorité et de normes pour guider sa conduite.»

environnement Le terme «environnement» est attribué aux espaces de vie des territoires, en fonction des références subjectives de chacun. C'est une donnée récente et incertaine mise en valeur par les associations de protection de la nature et que les politiques publiques territoriales ne peuvent ignorer. L'environnement a été construit en tant que problème à partir du moment ou des groupes privés (associations de défense de la nature, des espèces, etc) en ont fait un objectif pour leurs revendications et leurs interventions et ont alarmé les pouvoirs publics. Certains de leurs services se sont d'ailleurs spécialisés dans cette problématique[2].

La construction de l'environnement comme représentation des rapports homme/nature s'est élaborée peu à peu à partir d'une philosophie de la modernité, elle-même s'étant développée au siècle dernier, selon des références et des modes d'intervention basé sur l'ascétisme, l'hygiénisme et la démocratie sociale. Ce rapport homme/nature s'inscrit alors dans un projet plus ou moins explicite de transformation, dont l'urbanisme accru a prodigué fortement ses représentations.

Nature et environnement sont des conceptions qui remettent en cause le système politique et économique ambiant. Les enjeux sont contradictoires selon les groupes ou acteurs sociaux qui s'emparent de la question. La perte des repères et des avantages acquis dans un processus identifié pour certains acteurs ou groupe, et le bénéfice de nouveaux choix et de nouvelles formes d'acquisition et de partage pour d'autres, brouillent les cartes.

Environnement Ceci se traduit dans les Pyrénées (mais aussi dans d'autres montagnes) par la recherche d'un développement économique et social lié à des contraintes et des espérances qui poussent les entrepreneurs de projet, comme les politiques à établir ces projets, le plus souvent, dans le domaine du tourisme, familial ou de masse.

Les activités traditionnelles, élevage, culture, fabrication du fromage, exploitation forestière, occupent toujours une partie des populations rurales, mais ne peuvent contribuer à l'existence d'une communauté durable, dans le contexte actuel, où la recherche du profit et du gain à court terme, prime sur les formes de coopération et des métiers qui traditionnellement mettaient en valeur le monde montagnard, tout en le distinguant.

Se saisissant du thème de la protection de l'environnement et par conséquent de la nature, telle qu'elle est présente dans les montagnes, les ANP[3] apportèrent un nouveau regard et un nouveau discours, concernant la préservation des lieux, de la faune et de la flore. Refusant les infrastructures lourdes, ayant un impact négatif sur l'écosystème[4]des Pyrénées, ces associations ont entamé des luttes, le plus souvent au niveau juridique, pour contrarier des projets et des investissements mettant en péril l'équilibre de la biodiversité[5]

Environnement La protection de la faune et de la flore constitue une priorité pour les tenants de la défense des animaux sauvages et de la biodiversité. C'est l'engagement du FIEP[6], qui associe les bergers dans l'aide pour un équilibre des espaces, hommes/ours et autres espèces à protéger, mais aussi de l'Adet[7], pour le soutien à la réintroduction de l'ours dans les Pyrénées.

D'autres associations, comme la SEPANSO[8], France Nature Environnement, accentuent leurs luttes sur un plan plus général, qui concerne les infrastructures dans des zones spécifiques, à préserver du fait d'une fragilité biogéographique. C'est ainsi que l'extension et l'aménagement des sites, comme ceux des stations de ski, pose la question d'une fuite en avant, alors que le changement climatique entraîne un enneigement irrégulier et moins dense.

Environnement L'intérêt des populations locales et des élus se concentre sur les défis de la croissance. Les ressources financières sont liées, pour ceux-ci, à un tourisme important, d'hiver et d'été, susceptible d'apporter une économie locale, qui profite, essentiellement aux commerçants, aux aménageurs et dans une moindre mesure aux personnels saisonniers des infrastructures (stations de ski, parcs animalier, petit train d'Artouste, etc.), aux entreprises et artisans bénéficiant de ces retombées économiques, ainsi que des communes concernées.

Quand aux communes ne bénéficiant pas des infrastructures touristiques, elles ne peuvent compter que sur leurs richesses naturelles et les activités traditionnelles : agriculture de montagne, pastoralisme, exploitation sylvestre, petit artisanat, ou accueil d'un tourisme familial, à travers les gîtes.

Environnement L'attachement des populations aux territoires de montagne est plus sentimental ou expressif qu'instrumental ; La plupart des habitants ne vivent pas directement d'une activité montagnarde, mais beaucoup sont chasseurs. Nombre de villageois sont attachés aux traditions orales, qui présentent les espaces montagnards comme le berceau des rêves et des espoirs valléens. Pour eux, la montagne est capable de tout. Si l'homme sait utiliser ces espaces, alors c'est la grande illusion économique qui germera de ses entrailles. Des stations de ski émergeront, comme autant de fontaines financières, des logements, gîtes, hôtels seront bâtis, des parcs animaliers, cages améliorées, ou des musées raconteront la nature d'antan, comme autant de « mythes des temps sauvages », fleurissant sur les vastes espaces aplanis et rendus accessibles par des axes routiers larges et sans détours.

Environnement Ce rêve est loin d'être partagé par les défenseurs de la nature et les montagnards adeptes des grands espaces, du caractère insolite, de la quiétude et de la liberté qui émanent de ces lieux, que ce soit à travers des activités sportives (alpinisme, escalade, ski de randonnée, raquettes .) ou de la méditation et contemplation, lors de balades (observation des fleurs, des animaux, des sites et autres curiosités). Ils attirent l'attention, sur la scène médiatique, des pouvoirs publics et des populations sur l'importance de la préservation des territoires et des richesses naturelles, parfois rares, ou en voie de disparition. Alors des batailles médiatiques s'engagent sur des conceptions qui paraissent antagonistes, mais ne sont pas toujours éloignées étant donné la multiplications des sujets abordés par les différents acteurs concernés, ou qui prennent part aux débats. Ainsi, le projet de traversée centrale des Pyrénées[9] est rejetée par les ANP, mais aussi par les populations locales et bon nombre d'élus.

Environnement Le projet d'extension et de création de la station de ski de la Géla - Piau-Engaly est combattu autant par les agriculteurs, qui perdent des terres, que par des commerçants, des montagnards guides ou amateurs et amoureux de la nature. Le modèle du « tout ski », qui a fait la richesse de certains territoires des Pyrénées, depuis des dizaines d'années, traduit, actuellement, une absence de réflexion, à long terme de l'utilisation des espaces, sans stratégie, induisant des attitudes routinières fondées sur la consommation de ces espaces qui a permis le succès de l'or blanc. Le bétonnage outrancier de la montagne, la spéculation foncière qui en résulte, avec un suréquipement entraînent l'exclusion des jeunes actifs des territoires touristiques, comme la disparition de la plupart des activités agricoles. La montée des intérêts individuels s'effectue au préjudice de l'intérêt général.

Les clivages sont plus prononcés lorsqu'il s'agit de la disparition de l'ours, souhaitée par de nombreux agriculteurs, chasseurs et élus (surtout dans les vallées béarnaises et le Pays Toys ) ou de la réintroduction du plantigrade soutenue par les ANP, des organismes d'Etat comme l'ONC[10].et de nombreux pratiquants des activités de loisirs de montagne ou populations touristes, pour le mythe que représente cet animal, si proche de l'homme.

La nature exerce sa fascination et ses frayeurs. La richesse des paysages, leur diversité attire les foules de visiteurs et randonneurs. Les phénomènes naturels inquiètent les hommes lorsqu'ils engendrent des drames, comme les avalanches et les intempéries exceptionnelles. Parfois les accidents dont sont victimes des pratiquants de la montagne sont interprétés comme la sanction de la nature envers le comportement humain. L'homme ne peut être plus fort que la nature.

La sagesse exige le respect face aux éléments naturels. « C'est naturel », peut signifier : « on n'y peut rien », ou « c'est évident ». Le discours sur la nature nous permet d'argumenter, de promouvoir des idées ou des normes, elle nous sert de référence, comme si une « autorité morale de la nature », dépassait notre propre arbitre.

La protection de la nature et une meilleure prise en compte de notre environnement deviennent des éléments essentiels pour l'homme contemporain, qui retrouve dans le naturel l'essence même de sa condition. Mais dans les systèmes économiques des sociétés occidentales le profit et la rentabilité à tirer de certaines ressources naturelles (sites paysagers, neige pour le ski) attirent la convoitise des promoteurs et engagent les élus dans une course en avant pour la recherche d'un développement local, qui, malgré tout, a ses limites.

Les orientations antagonistes, de protection de la nature et d'exploitation des ressources naturelles, les bénéfices, en terme de nouveaux choix et de nouvelles acquisitions et de partage pour d'autres, suscitent de nouvelles questions, véritables enjeux de société.

L'insistance et l'impulsion des défenseurs de la nature et de la montagne permettent une prise de conscience des pouvoirs publics et des acteurs de projet incitant à des décisions de préservation

Mais quelles pourraient être les orientations qui permettraient l'émergence de points de vue conciliables afin que la nature reste au coeur de l'humanité ?

Christian FERRÈRE
Sociologue

[1] Lorraine Daston est directrice de l'Institut Max Planck d'histoire des sciences.

[2] La Diren : Direction régionale de l'environnement, crée en 1992, suite à la réforme du « plan vert » de Brice Lalonde. Elle est issue de la DRIR (Direction régionale de l'industrie et de la recherche, crée en 1983 et de la Drire « E » pour environnement.

[3] ANP : Associations de protection de la nature.

[4] Ecosystème : entité écologique associant les caractéristiques physico-chimiques et géographiques d'un milieu (biotope) à l'ensemble des êtres vivants qui y vivent (biocénose). Les écosystèmes sont en équilibre évolutif, mais des perturbations brutales (pollutions, aménagement artificiel, etc.) peuvent excéder leurs possibilités d'adaptation et les faire disparaître.

[5] Biodiversité : diversité naturelle des organismes vivants. Elle s'apprécie en considérant la diversité des écosystèmes, des espèces, des populations et celle des gènes dans l'espace et dans le temps, ainsi que l'organisation et la répartition des écosystèmes aux échelles biogéographiques.

[6] FIEP : Fonds d'intervention éco-pastoral.

[7] Adet et Férus Pays de l'ours : Association pour le développement économique et touristique.

[8] SEPANSO : Société pour l'étude, la protection et l'aménagement de la nature dans le sud-ouest.

[9] La TCP prévoit une ligne ferroviaire passant sous le massif du Vignemale, reliant l'Espagne à la France.

[10] ONC : Office national de la chasse et de la faune sauvage.