2 Avril 2019

CRISE ECOLOGIQUE,
LES PYRENEES EXPOSEES ?

Essai de sociologie de l'environnement.

 CRISE ECOLOGIQUE

Depuis quelques années le terme de crise est employé dans différents domaines, qui, a priori, n'ont pas de signification commune. La crise économique, la crise écologique, les crises politiques, sociales, ou même existentielles, sont des phénomènes qui évoquent des problématiques bien différentes. L'évolution des sociétés, les changements, les bouleversements que nous pouvons connaître à travers les aspects de l'organisation sociale émettent des secousses, des soubresauts touchant une multitude de choses aussi diverses que la culture, la santé, l'action de l'homme sur le climat.

CRISE ECOLOGIQUE Il ne s'agit donc pas de tenter de trouver une consistance conceptuelle à la notion de crise, mais de cerner au plus près un concept de crise écologique. Pour autant, nous nous heurtons à des éléments très éloignés, par exemple entre la crise climatique et la réduction, voire la disparition d'espèces animales, comme l'ours des Pyrénées, le grand tétras, le desman, le triton et bien d'autres espèces dans les Pyrénées, comme ailleurs. Toutes les montagnes, en France et dans le monde sont impactées par la pollution et le réchauffement climatique. Au-delà des phénomènes naturels, tels que érosion, intempéries, séismes, avalanches, la multiplication d'événements particuliers dus à l'action de l'homme sur son environnement, annonce des situations nouvelles et préoccupantes. Les Pyrénées loin d'y échapper, sont elles aussi concernées par ces bouleversements écologiques.

Maintenir une diversité et protéger

En juin 2013, nous avons assisté dans les Pyrénées centrales et occidentales à des phénomènes météorologiques exceptionnels : chutes abondantes de neige et pluies torrentielles, ayant comme conséquences des inondations destructives, dont des villages ont essuyé d'importants dégâts mettant en difficulté les populations concernées : Saint-Béat, Barèges et autres localités. L'infiltration des eaux de pluie dans la terre, a provoqué des affaissements de pans de falaises, l'instabilité des terrains pentus, a entraîné des chutes de roches, ou d'arbres, provoquant fortuitement de tragiques accidents. Les rafales de vent, de plus en plus violentes et de plus en plus fréquentes, semblent indiquer que ces phénomènes cumulés résultent bien du réchauffement climatique et que l'homme a sa part de responsabilité.

Crise écologique Robert Vautard chercheur au laboratoire des Sciences du climat et de l'environnement (CNRS), explique : « De manière générale, on s'attend à ce que, avec le changement climatique (...),il pleuve de plus en plus dans les zones où il pleut déjà beaucoup ». Les Pyrénées, notamment occidentales, sont donc tout à fait exposées à ces phénomènes. Face à ces indices observés depuis une décennie, il serait nécessaire de forger des théories locales propres à une discipline, l'écologie, et de renoncer à vouloir établir des modèles généraux mêlant l'écologie et les systèmes sociaux, par exemple, empêchant toute réflexion pertinente sur la relation de cause à effet que l'action de l'homme a sur son environnement. Concernant la crise écologique, les domaines sont également divers. Les intempéries climatiques, vents, inondation, éboulements, fonte des glaciers..., constituent des réactions en chaîne nommées « effondrement systémique », ou « feed-back négatif », ou bien encore « cercle vicieux », également « théorie des dominos », dont chacun des concepts peut dévoiler les structures profondes de phénomènes pourtant éloignés. L'appauvrissement de la faune et de la flore guette nos montagnes, du fait des changements climatiques et de l'action de l'homme, incapable de prendre des mesures efficaces susceptibles de diminuer ses nuisances et protéger son environnement (nature, biotope1, etc.). Localement, une réflexion serait à élaborer sur les actions de l'homme à mettre en ouvre pour assurer la protection des espèces ce qui semble une nécessité pour maintenir une diversité et protéger les écosystèmes2, la biodiversité3, nécessaires et indispensables pour la chaîne de la vie.

Théorie des catastrophes

Cette réflexion nous entraîne à considérer l'impact de l'action de l'homme dans des domaines aussi divers que la pollution des sites, par exemple leur fréquentation par tout engin motorisé, la chasse et ses répercussions sur la tranquillité des espèces (reproduction, habitat, etc.), l'exploitation forestière, l'agriculture dans des zones au biotope fragile, les infrastructures, à travers les extensions des zones aménagées pour divers loisirs (stations de ski, bâtiments, pistes accessibles aux véhicules dans des zones fragiles), le tourisme de masse souhaité par les offices de tourisme sous l'impulsion des élus locaux, afin de bénéficier de retombées économiques profitables aux communes en recherche de financements. Des tentatives d'explications théoriques aux crises ont émergé sans produire de résultats significatifs, comme la théorie des catastrophes élaborée par René Thom. Cette théorie se présente comme un développement sophistiqué, qui allie la topologie (étude des formes de l'espace) et (les équations différentielles4.)... La problématique de la crise écologique ne peut s'analyser par ce modèle qui conduirait à une impasse. Un nouveau modèle émerge :  la dynamique des systèmes complexes. Mais les recherches se heurtent encore au travail de recensement, de description, de classement. Faut-il polariser les recherches sur des phénomènes singuliers et ne feront-ils pas écran aux vues d'ensemble ? Cette discipline peut être une spécialisation universitaire formant les futurs «crisologues» !

Mini-crises et innovations

Depuis quelques années, un centre de recherche sur les catastrophes a été créé aux États-Unis à l'université du Delaware : le Disaster Research Center. En six ans, ce dernier a recensé 700 catastrophes naturelles. C'est la plus importante collection d'archives du monde concernant les réactions humaines face aux catastrophes.

L'histoire est parcourue de crises, de grandes crises et des crises de moindre ampleur. Elles participent à un renouvellement permanent agissant sur l'équilibre bio de la planète. Toutes les crises écologiques ne sont pas cataclysmiques. Ces phénomènes intermédiaires, de moindre ampleur donnent un regard nouveau sur le phénomène de changement. Ainsi de fortes crues entraînent des dérives de cours d'eau qui peuvent modifier le paysage et même transformer un village, en détruisant des bâtisses anciennes et exigeant la construction de nouvelles sur d'autres espaces. Les populations, non sans difficultés, doivent s'adapter à ces nouvelles donnes (par ex., les crues dans le secteur de Barèges, Cauterets en juin 2013).

Crise écologique Un observatoire pyrénéen permettrait de recenser et de classer des phénomènes permettant d'appréhender ces manifestations avec une vision plus panoramique et distanciée, ceci en lien avec des organismes régionaux et nationaux. Les grandes crises en général attirent le regard vers ce qui est le plus visible, le plus fascinant. Elles sont de puissants attracteurs mentaux et peuvent, dans certain cas, provoquer des alternatives radicales : innover ou périr... L'extinction d'une espèce peut être considérée comme une crise écologique. La restriction des territoires de la faune, le repli des animaux dans des zones concentrées, le manque de biodiversité, la chasse, le braconnage, peuvent à long terme, engendrer la disparition d'espèces animales comme le bouquetin dans les Pyrénées5, l'ours qui est en survie, le desman, etc. La cause principale étant là encore l'intervention de l'homme peu préoccupé de la diversité en général. Les écosystèmes sont partout menacés dans le monde. D'après les prédictions des biologistes entre le tiers et la moitié des espèces animales pourraient disparaître d'ici à soixante-dix ans. Cet équilibre transformé en permanence, selon le principe de l'entropie6, se traduit par des mini-crises et des innovations locales.

Nouveau regard sur l'histoire

Deux modèles et scénarios ont été développés. Ils recensent et classent des phénomènes permettant de voir les choses avec une vision plus panoramique et distanciée, consistant à dégager des régularités et des logiques générales (exemple de la crise économique actuelle). L'histoire humaine est marquée par le déclin ou la disparition des civilisations. Une part incombe à la surexploitation des ressources, comme le souligne Jared Diamond, concernant l'effondrement des civilisations ainsi que Joseph A. Tainter ; l'effondrement des sociétés complexes est un effet contradictoire de leur complexité croissante : pour résoudre leur problème de développement elles ont tendance à se complexifier (croissance, différenciation, spécialisation, bureaucratisation, dépense croissante d'énergie et de bien, etc.). Parvenues à un certain stade, elles subissent «une baisse de rendement marginal» où les coûts d'organisation deviennent supérieurs à leurs capacités de production. Le système entre alors en crise. Si tous les systèmes en crise sont de natures différentes, cela n'empêche pas de découvrir des processus communs. En écologie, certaines extinctions sont attribuées à une cause exogène (au Crétacé, extinction due à une météorite) ou à un phénomène endogène (changement climatique brusque, épidémie, chasse intensive, etc.). La crise amène un nouveau regard sur l'histoire des sociétés et du monde vivant. À l'ère de l'Anthropocène7, certaines extinctions d'espèces animales et végétales ont pour nouveauté d'être provoquées par l'humanité.

Dernier exemple concret des différents niveaux d'implication de l'homme :

L'écobuage et la pollution atmosphérique

Chaque année les localités de la chaîne pyrénéenne, sont affectées par les fumées des écobuages. La fin de l'année 2016 et les premiers mois de l'année 2017 ont été particulièrement concernés.

Crise écologique L'écobuage, ou débroussaillement par le feu, est une pratique agricole ancestrale pratiquée dans le monde entier. C'est une technique agricole qui consiste à arracher la végétation et la couche superficielle de l'humus, d'incinérer ces éléments en petits tas, puis d'épandre les cendres sur le terrain afin de l'enrichir en éléments nutritifs.

Or, si cette pratique est ancestrale et coutumière, il serait peut-être nécessaire de la réinterroger quant aux effets « bénéfices- risques » constatés dans nos contrées.

Les Pyrénées-Atlantiques, les Hautes-Pyrénées et la Haute-Garonne ont subi des concentrations de particules fines atteignant des niveaux qui ont provoqué le déclenchement de plusieurs alertes dues à la pollution de l'air au cours de l'hiver.

L'ORAMIP, organisme chargé de contrôler la qualité de l'air avait placé le département des Hautes-Pyrénées en alerte pour le samedi 31 décembre et le dimanche 1er janvier 2017. Il avait observé : "des niveaux de concentration en particules en suspension (PM10) supérieurs à 50 microgrammes par mètre cube (µg/m3) en moyenne sur 24 heures." La procédure d'alerte à la pollution s'était poursuivie le dimanche 1er janvier dans les Hautes-Pyrénées après le dépassement du seuil d'alerte du niveau de concentration en particules fines dans l'air. S'ils n'en sont pas les seuls responsables, les écobuages ont continué d'accentuer le phénomène en montagne. 

Selon l'ORAMIP Les causes du dépassement de ce seuil étaient d'abord climatiques,: "Les particules en suspension dans l'air s'accumulent depuis mercredi 28 décembre sous l'effet combiné des émissions polluantes et des conditions météorologiques particulièrement stables. Localement, des incendies provoqués par écobuage surajoutent aux émissions courantes des particules dans l'atmosphère." La Préfecture avait pris un arrêté pour les interdire, notamment du côté de Gazost et dans le Luchonnais, à la limite des départements de la Haute-Garonne et des Hautes-Pyrénées. En raison de la dégradation de la qualité de l'air et des conditions météorologiques, Béatrice Lagarde, préfète des Hautes-Pyrénées avait pris un arrêté interdisant l'écobuage et le brûlage des déchets verts dans les jardins, dans ce département, jusqu'au mardi 28 février.

La fumée qui a envahi progressivement les stations de ski de Piau Engaly, de Saint Lary et de la vallée du Louron, avait provoquée le mécontentement des touristes venus respirer un bol d'air frais pendant leurs vacances de fin d'année. Or, le temps très clair et chaud et l'absence de vent ne favorisaient pas l'évacuation de la fumée qui continuait à stagner.

Les populations des villes de Tarbes, Lourdes, Argeles-Gazost et de nombreux villages, ainsi que Laruns, Bedous, Oloron, dans les vallées d'Ossau et d'Aspe en Béarn, ont exprimé leurs inquiétudes et soulevé le problème de santé publique.

Après cet épisode alarmant de pollution atmosphérique dans le massif pyrénéen, une réglementation adaptée à la gestion des écobuages est indispensable. Sa pratique tant ancestrale que répandue amène à penser qu'une réflexion réelle doit être menée afin de prendre en compte l'ensemble des aspects.

En 2018 les feux pastoraux pour entretien des prairies ont eu des impacts moindre du fait d 'averses de pluie fréquentes, mais dans certains villages, les feux de cheminées interrogent également sur leur participation à la pollution atmosphérique ! Début 2019 les écobuages continuent de polluer l'air dans les plaines et montagnes des Hautes-Pyrénées et des Pyrénées-Atlantiques. De nombreux villages sont impactés et les touristes des stations de skis se plaignent de cette nuisance. Les pouvoirs publics ne prennent pas de mesures efficaces !

Prise de conscience

Les écosystèmes sont menacés partout dans le monde. Les Pyrénées subissent également des dégâts. De nombreux biologistes s'alarment du rythme auquel des batraciens, serpents ou certains oiseaux sont décimés. Les facteurs de responsabilité sont multiples : intensification de l'agriculture, notamment la pollution qui lui est associée, le déboisement, le réchauffement climatique, l'introduction d'espèces invasives, l'extension des terres agricoles ou urbaines.

Crise écologique Ces facteurs affectent également, directement l'humanité. Des animaux comme l'ours des Pyrénées, actuellement, ne survivent plus que parce que son principal prédateur l'homme, en a décidé ainsi : des plantigrades venant d'ailleurs (Slovénie) furent réintroduits, des réserves ou des zones protégées sont créées, etc. Il en est ainsi pour d'autres espèces pyrénéennes (réintroduction des bouquetins5). Dans le Béarn deux ourses ont été introduites, le 5 octobre 2018 l'ourse Clavérina lâchée en vallée d'Aspe puis le lendemain 6 octobre, Sorita dans la vallée d'Ossau et cela malgré les oppositions de certains bergers, chasseurs, élus locaux. Aujourd'hui, une extinction dépend très souvent des actions humaines et les indicateurs permettant de l'appréhender sont relatifs. La nature et les espèces qui la peuplent constituent un patrimoine que nous avons reçu et que nous devons léguer aux générations futures. Pour paraphraser Marc Millan, ornithologue américain du XIXe siècle : «ll faut sauver les ours (les condors) non pas parce que nous avons besoin des ours, mais parce que nous avons besoin de développer les qualités humaines nécessaires pour les sauver, car ce sont ces qualités-là dont nous avons besoin pour nous sauver nous-mêmes».

Sans des actions de conservation, d'une prise de conscience des pouvoirs publics et de toutes les parties concernées, une crise écologique sérieuse menace les écosystèmes de cet environnement particulier que constituent les Pyrénées.

Christian FERRÈRE
Sociologue

[1] Biotope : du grec ancien, un type de lieu de vie défini par des caractéristiques physiques et chimiques déterminées relativement uniformes . Le milieu héberge un ensemble de formes de vie composant la biocénose : flore, faune, fonge (champignons)et des populations de micro-organismes.

[2] Écosystèmes : entité écologique associant les caractéristiques physico-chimiques et géographiques d'un milieu (biotope) à l'ensemble des êtres vivants qui y vivent (biocénose). Les écosystèmes sont en équilibre évolutif, mais des perturbations brutales (pollutions, aménagement artificiel, etc.) peuvent excéder leurs possibilités d'adaptation et les faire disparaître.

[3] Biodiversité : composé des mots du grec bio vie et diversité, c'est-à-dire diversité de la vie sur terre. Elle s'apprécie en considérant la diversité des écosystèmes, des espèces et des gènes dans l'espace et dans le temps, ainsi que les interactions au sein de ces niveaux d'organisation et entre eux.

[4] En mathématique une équation différentielle est une équation dont la ou les inconnues sont des fonctions;elle se présente sous la forme d'une relation entre ces fonctions inconnues et leurs dérivées successives.

[5] Les bouquetins, réintroduits en 2014, avec 15 naissances en 2018 sont 190 individus en décembre 2018.

[6] Entropie : cette notion thermodynamique est utilisée ici pour marquer le degré de désorganisation d'un système. Pour E. Morin, le désordre prend dès lors la forme d'un principe organisationnel, au sens paradoxal où il introduit de la désorganisation nécessaire au maintien de l'intégrité d'un système.

[7] Anthropocène : terme de chronologie géologique proposé pour caractériser l'époque de l'histoire de la Terre qui a débuté lorsque les activités humaines ont eu un impact global significatif sur l'écosystème terrestre.